Le jeune public français s’attend à des conséquences durables
Par François Fogel
Comme partout, le spectacle vivant français et l’ensemble du secteur culturel sont profondément impactés par le confinement. Pour tous ceux qui espéraient encore sauver leur saison, l’annulation du Festival d’Avignon et de tous les festivals d’été a sonné comme le coup de grâce, mais ce n’est qu’un maillon d’une réaction en chaîne en train de se produire.
Du côté des compagnies, les incertitudes s’accumulent. Ne pas pouvoir présenter leur travail maintenant peut signifier des perspectives de tournée vides pour deux ou trois saisons. Les premières des créations en cours deviennent impossibles à reprogrammer, car, quand les salles finiront par rouvrir, les programmateurs devront d’abord respecter les engagements qu’ils ont pris pour l’année en cours. Compte tenu de la précarité sociale de la plupart des professionnels, le risque de dissolution et de perte de compétences est réel.
Les théâtres n’ont pas beaucoup plus de visibilité sur les prochains mois, et les règles de distanciation spatiale qu’ils devront appliquer dans leurs locaux, pour les représentations et même les répétitions. Ce qu’ils savent déjà, c’est qu’ils devront se battre pour regagner un public, car toutes les enquêtes indiquent que les gens souhaitent éviter autant que possible les événements publics.
Les administrations locales, qui sont les principaux commanditaires des projets culturels pour les enfants et les jeunes, craignent de voir leurs budgets anéantis par la crise, alors que les prévisions économiques annoncent une récession massive. Enfin, et ce n’est pas le moins important pour notre secteur, il n’y a aucun signe clair que les arts seront une priorité dans le cursus des élèves, une fois qu’ils seront de retour dans les salles de classe, puisque tant d’heures de “matières principales” auront été perdues.
Pourtant, dans ce paysage tout sauf riant, plusieurs éléments sont porteurs d’espoir, et nous permettent d’entrevoir quelques lumières à travers les nuées.
Tout d’abord, le rôle éminent joué par les arts et la culture dans la société française, et leur poids dans le revenu national, ont conduit le gouvernement et les régions à prendre des mesures rapides et protectrices. Pour les arts du spectacle, elles concernent plusieurs sujets majeurs, comme l’obligation faite aux théâtres subventionnés de payer pour les œuvres commandées, même si elles n’ont pas été jouées, une extension d’un an des droits au système d’allocations chômage spécifique aux arts du spectacle, le régime de l’intermittence, et l’annonce de commandes publiques. Les signes d’implication donnés par le pouvoir ont culminé le 6 mai par une intervention télévisée sans précédent, durant une heure, du Président de la République lui-même, spécifiquement consacrée à la culture.
La mobilisation des professionnels de la culture de tous les secteurs n’est pas sans rapport avec l’intérêt de l’État. Les syndicats et les organisations professionnelles ont alerté sur la situation, et ont réclamé un plan à long terme. Des initiatives de solidarité et des appels à la vigilance se sont développés depuis les tous premiers jours du blocage.
Scènes d’enfance – ASSITEJ France a d’abord appelé à la solidarité, poussé à l’équité dans les relation entre les théâtres et les artistes, demandé aux commanditaires de payer quel que soit l’état d’avancement des projets, et réclamé un plan de soutien d’urgence dans les meilleurs délais. Comme beaucoup, nous avons lancé une page de ressources et des pages consacrées aux initiatives en ligne qui ont révélé une grande créativité et un engagement exceptionnel pour la poursuite d’une vie artistique pour les enfants et les familles confinés de la part des artistes et des théâtres.
Pour commencer à concevoir les prochaines étapes, le conseil d’administration a mis en place 4 groupes de travail :
- GROUPE 1 – Stratégie et politique : courriers aux institutions, positionnement politique et stratégie de communication
- GROUPE 2 – A l’écoute des besoins de la profession : collecte des données du secteur jeune public et mise en place d’espaces de parole
- GROUPE 3 – Rencontre avec les oeuvres et éducation artistique et culturelle : des problématiques aux bonnes pratiques au service du public
- GROUPE 4 – Solidarité autour de la création : repenser le lien artistes/lieux en période de coronavirus et les façons d’accompagner la création (résidences, parrainage lieux-équipes)
Nous avons également envoyé une lettre au ministre de la culture, qui a suscité de nombreux échos dans la presse culturelle et a beaucoup fait parler d’elle sur les réseaux sociaux.
Tout le monde est donc sur le pont. Il est notable que nous avançons avec le sentiment croissant que les choses ne seront plus jamais les mêmes. Alors que personne ne songerait à qualifier la crise du Covid d'”opportunité”, notre secteur remet clairement en question des pans entiers de la société actuelle et aspire à des modes de vie plus durables. Comme cette recherche est partagée avec beaucoup d’autres, elle reste une source d’espoir.
Nous nous languissons de tous nos collègues étrangers, et nous vous souhaitons à tous des jours sûrs et créatifs.