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Avec Léon Chancerel (1886 – 1965), Rose Marie Moudouès a été à la source de la création de l’Assitej, dont elle a pratiquement rédigé les premiers statuts, et dont elle fut la Secrétaire générale de 1965 à 1989. Ancienne conseillère du Ministère de la Culture, Directrice de collection, elle est, aujourd’hui, Secrétaire générale de la Société d’histoire du théâtre.

Au moment de la fondation de l’Assitej, quelles sont les idées que vous partagiez, et qui vous ont réunis ?

D’abord il faut se replonger dans cette époque, la guerre froide, et comprendre que nous avions affaire à deux mondes séparés. Il y avait l’Occident, et l’Union Soviétique et ses satellites. Or, il se trouvait que, de part et d’autre, on avait conscience qu’il y avait là, dans le théâtre pour l’enfance, un domaine extrêmement important pour l’avenir.

Les français, avec l’ATEJ, et les anglais, qui ont commencé à travailler ensemble, à partir de 64, avaient conscience qu’il se passait « des choses », ailleurs, et qu’il était nécessaire de les faire rayonner internationalement. Ca avait une importance énorme, de casser ce mur : on ne s’était pas battus pendant la guerre pour retrouver un monde coupé en deux. On avait ce besoin de retrouver une unité, à travers des enfants, de montrer qu’on pouvait avoir des civilisations différentes et vivre ensemble. Et je dois dire que ça a été un succès total. Ca été un des motifs pour lesquels, au congrès fondateur de Paris, en 65, les deux mondes étaient très largement représentés.

Quelle idée de l’enfant ces personnes partageaient-elles ?

On pensait l’enfant comme un être en devenir, à qui il fallait donner tous les accès à la culture, pour qu’il devienne un homme, ou une femme, sans distinction par rapport aux adultes. Nous avions une vision de ce qu’il fallait lui donner en matière de théâtre, et il fallait développer ce théâtre, le faire prendre en considération, le soutenir. En France, les moyens matériels étaient très, très faibles.

Le message s’adressait donc, aussi, aux pouvoirs publics…

Oui. Même si dans certains pays, nous n’avons pas eu beaucoup à faire pour convaincre : ils l’étaient déjà. Pour nous, occidentaux, la première fois que nous sommes allés à Moscou, quand nous avons vu le Théâtre des enfants sur la Place des théâtres, à côté du Bolchoï, ça a été un choc. Ensuite, en France, où j’ai été associée étroitement à la création des CDNJ(1), grâce à l’Assitej, on avait la connaissance de ce qui se faisait ailleurs. Ca a pris du temps, mais le fait de pouvoir argumenter avec des exemples a beaucoup aidé.

 Comment ces idées ont-elles vécu, à travers l’histoire de l’Assitej ?

A travers des rencontres, des invitations d’individus à venir mettre en scène dans d’autres pays. Passées les 4 ou 5 premières années, une identité s’est créée. Des liens d’amitié, de travail, entre des metteurs en scènes, des troupes, ont produit une ouverture sur d’autres formes d’art. Ce qui était très important pour la formation des gens de théâtre, c’était d’être confrontés au travail d’artistes qui étaient en avance sur eux. Tous les moments de rencontre ont été importants. Dans chacun d’entre eux, il y a eu la chose qui appelait à la discussion, à la réflexion, l’heureuse découverte.

Comment l’Assitej a t’elle vécu sa continuelle ouverture à de nouveaux pays?

Très naturellement. Il y avait une énorme curiosité de voir comment les autres fonctionnaient. J’ai le souvenir très net, par exemple, des premières rencontres avec le théâtre cubain, qui était un théâtre ultra-pauvre. Mais en dépit de l’absence de moyens, il y avait un tel sens poétique, un tel sens du rythme ! Avec rien, ils arrivaient à construire. Ca prouvait que les moyens matériels n’étaient pas ce qui commandait à la beauté d’un spectacle, à la capacité de toucher le public et de lui apporter une richesse.

On pouvait opposer cela aux grands spectacles montés à Moscou, par exemple. Natalia Sats y avait fait construire un théâtre pour les enfants qui était, dès l’entrée, un lieu d’enrichissement. Ils étaient accueillis en musique, par des personnages, il y avait aux murs des tableaux magnifiques. Ils rentraient dans un univers. Moi, j’aurais beaucoup à dire sur l’esthétique des spectacles de Natalia Sats ! Mais l’enfant était vraiment dans un bain de culture. Quand on opposait ça à d’autres pays, comme Cuba, on se rendait compte que chacun parvenait à apporter sa pierre, et ce n’était pas mal, non plus, pour les très riches, de voir comment les autres arrivaient à créer avec très peu.

(1) De 1978 à 2000, les 6 Centres Dramatiques Nationaux pour la Jeunesse ont constitué le réseau national français des théâtres jeune public.

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